Valérie Moschetti

Après plusieurs années passées au Liban et en Algérie, grâce aux expatriations de ses parents, Valérie a fait ses études à Sciences Po Paris (Relations Internationales, spécialisation Union Européenne) et à la Sorbonne (Master 2 en politique européenne italienne). Sa carrière démarre en Côte d’Ivoire, puis se poursuit en Afrique du Sud et au Maroc, dans les secteurs privé et public (business développement en cabinet de conseil, ambassade, chambre de commerce). Le mémoire de son deuxième master à l’INALCO (Management et Communication Interculturels + Japonais) lui ouvre une porte sur une mission de 6 mois à l’ambassade européenne au Japon. Elle devient ensuite directrice des recommandations stratégiques à l’EU-Japan Centre for Industrial Cooperation pendant 4 ans, directrice du lobbying de Saint-Gobain pendant 4 ans puis se convertit en consultante indépendante pour Edenred Japan tout en gérant des missions pour des entreprises japonaises en Afrique. En février 2020, alors que la crise de la Covid-19 ne fait que commencer, le European Business Council in Japan (EBC) lui confie le poste de COO (Chief Operating Officer).

Parlez-nous de l’EBC, en quoi consiste son rôle ?

L’EBC est un organisme privé créé en 1972 et doté d’un conseil d’administration constitué de 15 chambres de commerce de pays européens au Japon. Financé à 40% par ces chambres, l’EBC pilote 23 comités sectoriels (automobile, biens de consommation, agroalimentaire, finance, etc.) qui identifient les barrières non tarifaires à l’accès des produits et services européens sur le marché japonais. Son objectif est de faciliter les relations économiques entre l’Europe et le Japon. Il se définit en un mot comme un lobby, sachant que les actions menées le sont dans l’intérêt des deux parties.

Un lobby a une connotation très négative, comment définiriez-vous cette notion de « win-win » dans les intérêts de chacun ?

Pour vous donner un exemple concret, lorsque je travaillais chez Saint-Gobain, il était assez difficile de communiquer sur le problème du manque d’efficacité énergétique des habitations japonaises, qui entraîne une déperdition de chaleur ou de fraîcheur et une lourde facture d’électricité. L’EBC avait constitué l’un de nos canaux pour alerter le gouvernement sur l’importance de la mise en place d’une réglementation stricte en matière d’isolation dans un contexte post-Fukushima. Quelques années après, le niveau d’isolation laisse encore à désirer mais la communication que nous avions faite a porté ses fruits auprès de certains constructeurs, qui proposent aujourd’hui des logements mieux isolés. En somme, un pays a tout intérêt à ouvrir ses portes à l’innovation étrangère afin de rester à niveau et d’améliorer, comme dans le cas présent, la qualité de vie de ses citoyens.

Concrètement, avec quels organismes japonais échangez-vous le plus ? Quels sont vos interlocuteurs principaux ?

Ils varient, mais les plus récurrents sont le METI (Ministry of Economy, Trade and Industry) et le MOFA (Ministry of Foreign Affairs). L’incontournable Keidanren, l’équivalent du MEDEF, et le Keizaidoyoukai sont également des organismes que nous rencontrons souvent. Nos moyens d’action gravitent autour de déclarations officielles – parfois en coopération avec des chambres de commerce extra-européennes – de conférences de presse, d’interviews dans les media, mais nous utilisons aussi d’autres stratégies.

Pour évoquer un sujet d’actualité, l’EBC a milité contre les mesures interdisant aux résidents étrangers de revenir sur le territoire japonais au début de la crise sanitaire actuelle. Comment cela s’est-il passé, quels étaient vos moyens de pression ?

Les portes du Japon se sont en effet fermées aux étrangers fin mars, à la surprise de nombreux résidents. En avril, nous avons reçu des appels de membres nous faisant part de leurs inquiétudes. Afin de mesurer le véritable impact économique de ces mesures sur les entreprises européennes, un questionnaire leur a été soumis via les 15 chambres de commerce. Dès juillet, les rendez-vous avec le METI, le MOFA, le Keidanren, le Keizaidoyoukai etc., se sont enchaînés afin de faire passer le message d’urgence, avec en support les résultats de l’enquête. A partir d’août, nous avons également porté les voix des partenaires japonais des sociétés européennes car ils subissaient eux aussi des préjudices et avons organisé des rendez-vous pour les entreprises concernées. C’est certainement ce moyen de pression qui a été le plus convaincant. Sur ce dossier, nous avons collaboré avec les chambres de commerce américaine, britannique, australienne et néo-zélandaise. L’intérêt de passer par l’EBC est généralement de porter un message du secteur privé européen à l’unisson, donc plus fort.

Vous êtes certainement un des rares COO féminins à traiter avec le gouvernement japonais, quel est votre plus gros challenge face à une bureaucratie très masculine ?

Je n’ai sincèrement pas ressenti de discrimination particulière du fait que je sois une femme. Pour mes interlocuteurs japonais, je suis d’abord une étrangère avant d’être une femme.

Lors de mes rendez-vous, je rencontre quelques femmes, mais lorsqu’elles n’occupent pas de postes de direction, elles ont peu la parole puisque c’est souvent la personne la plus gradée qui répond pour le groupe. Dans les administrations en contact avec l’étranger, je constate cependant une évolution positive, ce qui est moins le cas dans les ministères plus traditionnels et les PME.

Quelles compétences et expériences recommandez-vous aux femmes qui aspirent à occuper un poste comme le vôtre, qui implique des objectifs économiques avec des interlocuteurs dans le privé mais également étatiques ?

Une bonne connaissance des écosystèmes politiques et économiques japonais et européen est essentielle, de même qu’une certaine expérience dans les secteurs privé et public, car cela permet d’avoir une vue d’ensemble et de répondre efficacement aux demandes de nos entreprises membres. Mais le savoir n’est rien sans le savoir-être.

Plus généralement, travailler dans le lien entre des cultures quelles qu’elles soient – nationales, d’entreprise, etc. – requiert des capacités d’écoute, de mise en confiance, de diplomatie, de décryptage, de réactivité et surtout de curiosité. Je n’ai pas la prétention de les avoir toutes ni de tout savoir, j’en apprends encore tous les jours sur le Japon, sur l’Europe et … sur moi-même, c’est bien ce qui fait l’intérêt de ce poste, on ne s’ennuie jamais !

En quoi consistent vos prochaines tâches maintenant que les frontières japonaises se sont ouvertes ?

En effet, ce sujet a entièrement occupé mon agenda depuis ma prise de fonction ! Mais il a aussi permis à l’EBC, qui souffre d’un déficit de notoriété, de se faire connaître.

Une de mes priorités actuelles est de rencontrer le plus grand nombre d’interlocuteurs afin de leur expliquer nos services. Nous souhaitons aussi développer la réactivité de nos comités lorsqu’une barrière non tarifaire est identifiée afin de la porter à l’attention du gouvernement japonais et d’en discuter pour apporter une solution.

Dans la période actuelle, où un risque de repli sur soi de chaque pays est normal, il est de notre responsabilité de veiller au bon fonctionnement du commerce nippo-européen pour que les entreprises des deux régions puissent fournir de l’emploi et éviter une crise économique trop grave.

Si vous voulez en savoir plus sur l’EBC, notre site web (ebc-jp.com/) pourra vous éclairer !
[27/11/2020]