Sae Nagamatsu

Du haut de ses 24 ans et de son peu de vécu en France, Sae Nagamatsu parle et écrit un français impressionnant. Un vocabulaire riche, une grammaire composée, une écriture parfaite, des phrases fluides qui ne laissent pas transparaître ses origines japonaises. Mais d’où vient cette capacité de maîtrise de notre langue qualifiée comme difficile à dompter ? Les trois années passées, à l’âge de 2 ans et 13 ans, sur le territoire gaulois ne sauraient expliquer ce talent. En effet, ses initiatives professionnelles et personnelles dépeignent une personne qui sait ce qu’elle veut.

Sae est née à Kanagawa, d’un père japonais qui avait étudié le français à l’université et a travaillé pour une société d’import de produits européens. Ses parents lui inculquent des valeurs japonaises très fortes, mais aussi une curiosité pour l’étranger, une envie de découvrir l’envers du décor mondial. Les deux ans passés en Slovaquie lorsqu’elle était bébé lui avaient peut-être déjà donné ce goût pour la différence.

Un séjour dans un camp culturel franco-japonais auquel elle participe au Japon à l’âge de 13 ans va la surprendre. Elle ne sait pas encore construire une phrase en français. Pourtant, sa capacité à lire entre les lignes l’initie à l’art de la conversation française pendant deux semaines. Ce fut le début d’un voyage culturel dans son propre pays qui dessina la suite de son parcours. Son choix d’étudier le tourisme international à l’université de Sophia à Tokyo est un virage décisif dans sa vie : inscrite à la faculté des études de la langue française, elle suit des cours dispensés en français. Les deux premières années sont un marathon de persévérance et d’efforts, mais avant tout une aventure qui lui colle à la peau. Les ouvrages de ses professeurs Muriel Jolivet Chroniques d’un Japon ordinaire et Akira MizubayashUne langue venue d’ailleurs l’aident en outre dans sa compréhension de l’univers franco-japonais. Sa passion pour la langue française se confirme tout simplement.

Son université lui propose un échange scolaire de dix mois à Aix-en-Provence. Lors de l’évaluation de son niveau de français, elle est catégorisée A2, sur une échelle de A1-C2. Elle n’en revient pas : malgré deux ans d’apprentissage, son français se retrouve toujours en deuxième division. Ce choc met en lumière son caractère infiniment résilient : outrée, elle s’investit doublement pour rattraper ses lacunes et mériter le niveau auquel elle aspire.

Diplôme universitaire en poche avec un français dont elle est bien plus fière, Sae postule à différents emplois dans le tourisme international et choisit au final un stage de trois mois chez Japan Travel. Sa mission consiste à enclencher des contacts avec les médias étrangers et créer des partenariats. Elle voit dès lors sa multi-culturalité se manifester : elle veut créer des ponts entre le Japon et l’étranger, les réunir à travers du développement communautaire. Embauchée à plein temps suite au succès de sa mission, elle sent grandir en elle cette envie de renforcer les liens humains de différents horizons et devient responsable Ressources Humaines. En effet, cette société de 26 personnes accueille au quotidien 14 nationalités différentes. Fluidifier leurs dialogues et créer une communauté interne forte et solidaire se révèle être son leitmotiv. 

Elle est comblée par son métier aujourd’hui, mais la suite de sa carrière la travaille beaucoup et elle songe à deux axes : continuer dans la voie des ressources humaines ou se spécialiser dans la création de contenu digital.

Comme sa personnalité le laisse transparaître d’ailleurs, elle ne perd pas de temps. Son activité complémentaire consiste à alimenter le site web qu’elle a créé de toutes pièces, www.japooonfr.com (en cours d’élaboration). Le contenu, du reste, ne fait que rejoindre ses ambitions personnelles : sa plateforme raconte le Japon, vu par une Japonaise, en français. Non seulement elle perfectionne ses capacités linguistiques et atteint les francophones souhaitant comprendre en profondeur l’Archipel, mais elle découvre aussi, à travers ses recherches, différences facettes de son pays natal. Féminisme, travail, santé, congé parental : elle couvre essentiellement des sujets sociétaux qui méritent débats et analyses. Car à juste titre, toute culture possède une multitude de « pourquoi du comment » qui justifient aujourd’hui l’état des choses.

Serait-elle déjà un peu entrepreneure ? Son choix d’être responsable RH dévoile un peu de cela, car comprendre la loi du travail et le recrutement font partie des pierres qui contribuent à l’édifice d’une société. Travailler en France ? C’est aussi un axe qu’elle considère. Le développement de ses compétences pour y être employable fait aussi partie de sa réflexion. Dans tous les cas, elle a bien l’intention de réussir un master en France avant ses 30 ans. Travailler pour une société japonaise ? Elle se demande si ses aptitudes en ressources humaines et sa vision culturelle panoramique pourront y déployer leurs ailes à leur juste mesure.

Depuis 2 ans, son ami français, trilingue, contribue aussi à ses progrès linguistiques. Leur quotidien est truffé de jeux de mots échangés sur le ton de l’humour international. Dernière cerise sur le gâteau : sans un seul séjour dans un pays proprement anglophone, Sae maîtrise la langue de Shakespeare. Sa participation depuis onze ans dans les activités en anglais de l’association de théâtre Labo Party lui a donné ce bagage si recherché sur le marché du travail japonais. Décidemment, elle ne sait que marier l’utile à l’agréable.

Sae est une jeune femme profonde, qui a soif d’apprentissage, passionnée par l’art du dialogue. Elle est la preuve vivante qu’il est possible de posséder des valeurs traditionnelles japonaises et en même temps avoir un œil bien plus qu’ouvert sur le monde, deux identités qui au final se stimulent constamment et inlassablement.

Éduquée dans un pays où l’expression de soi n’est pas d’usage, elle s’abreuve du débat à la française et d’une meilleure compréhension du monde.


Remerciements à https://www.sensemofr.com pour son expertise de relecture et corrections de texte


[02/04/2021]