Nathalie Lesselin

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Nathalie naît en Picardie et y vit les onze premières années de sa vie. Ses parents décident ensuite de s’installer en Bretagne, leur lieu favori de vacances. Pour la petite histoire, sa mère qui rêvait de devenir professeur d’anglais était l’assistante de son époux avocat. Elle finit cependant par devenir avocate elle-même : se dépasser semble être un trait de caractère que Nathalie a hérité de sa mère…

Dans sa jeunesse, Nathalie rêve de devenir institutrice ou de travailler dans un orphelinat en Afrique. À 8 ans, elle organise une kermesse chez elle et collecte 280 francs français qu’elle reverse à l’association Enfants Bonheur. À 16 ans, elle découvre pour la première fois le Japon au travers de l’œuvre de Natsume Sōseki, Le Pauvre Cœur des hommes et a un coup de foudre pour le pays. Elle se promet de visiter l’archipel un jour.

Elle entreprend des études dans une école de commerce à Angers, l’ESSCA, et ne perd pas son objectif : pour son premier stage en 1992, la voilà stagiaire à Nagasaki pour une banque régionale japonaise, la Jyuhachi Ginko. Elle se rend alors compte que son rôle dépasse ses fonctions administratives : elle permet aux employés japonais de se familiariser avec une étrangère, à une époque où les immigrés représentent 0,5 % de la population. Adaptation culturelle, compréhension de l’autre, challenge interculturel : son expérience lui laisse des souvenirs riches qui en appellent d’autres.

De retour en France, elle commence à épargner pour repartir au Japon et initie un programme d’échange entre l’ESSCA et l’université de Sophia à Tokyo. Hélas, ce programme ne sera en place qu’après son diplôme mais cela ne la décourage pas : elle fait ses valises et part pour Tokyo. Un quotidien chargé se profile pendant deux ans : six heures de cours de japonais, quatre heures de petits boulots baito (professeur de français, animatrice de stands), deux heures de travail personnel en japonais. À bout de souffle mais persévérante, rien ne l’arrête pour parfaire la langue et financer son séjour. Une fois ses études de japonais bouclées, elle s’intéresse au marché du travail.

Quatre offres d’emploi se présentent et elle choisit de devenir coordinatrice marketing pour la marque de mode Kenzo (six employés à l’époque). Pendant deux ans, ses tâches consistent à faire la liaison entre les partenaires sous licence et les bureaux de Paris. Être une femme active lui montre une autre facette de ce pays : le métro bondé où les pousseurs, surpris par la présence d’une étrangère, hésitent à la compresser, les longs silences ambigus lors de réunions avec les représentants japonais de la marque, etc. Malgré les différences culturelles, elle devine que la relation avec les autres est empreinte de respect, de bienveillance et d’humilité…

En dépit de la proposition alléchante d’occuper le poste de responsable licence, elle écoute son besoin de renouer avec l’Hexagone et choisit un poste de responsable produit de la marque à Paris. Elle y travaille quatre ans.

En 2004, son conjoint est muté en Suisse. Avec un petit pincement de cœur  – elle admire énormément le créateur Kenzo Takada – elle quitte son poste et est embauchée comme chef de produit (trade marketing, visual merchandising, aide à la vente) chez Gucci Haute Horlogerie à Neuchâtel. Plus tard, elle devient directrice marketing et supervise vingt filiales et vingt distributeurs. À son grand plaisir, son poste la fait voyager, notamment au Japon.

Cinq ans plus tard, un entrepreneur précurseur l’appelle : « Est-ce que l’industrie de la prothèse dentaire vous intéresse ? ». Elle quitte l’horlogerie pour le secteur dentaire et intègre une start-up de six personnes : vente et marketing, support clients, RH. Motivée par cette technologie du soin dentaire qui les rend plus abordables, elle veut rendre les prothèses dentaires accessibles à tous.

Six ans et demi plus tard, un virage se dessine dans sa vie. Alors jeune maman de deux petits garçons, Nathalie perd conscience à deux reprises dans sa salle de bain. Percutant le radiateur et la baignoire, les chutes endommagent ses épaules et ses hanches mais surtout son cerveau : elle est victime d’un traumatisme crânien avec commotions cérébrales. Cet accident fait chavirer son existence car son corps n’obéit plus forcément à son cerveau, la moindre concentration lui demande beaucoup d’énergie, regarder la télévision plus d’une minute lui donne des vertiges. Et pourtant, la vie va lui offrir une ascension personnelle et professionnelle.

Comment occuper ses journées ? La lecture devient son meilleur compagnon et une amie proche lui recommande Voyage au-delà de mon cerveau (Jill Bolte Taylor). Elle y découvre la force et la magie du cerveau, ses capacités et son potentiel sans limite. De la rééducation ? Elle en a besoin mais décidant de la rendre ludique et belle, elle se met au piano. Entre-temps, ses souvenirs d’enfance refont surface  : être maîtresse d’école, les enfants défavorisés d’Afrique qu’elle veut aider. De nombreux livres occupent sa table de chevet : analyse du cerveau, méthode Montessori, développement personnel, linguistique, art de l’observation (une qualité remarquée au Japon), méditation. Toutes ces lectures et ses idées donnent naissance à une association qui se transforme en société  : Big Bang Generation. Elle baptise son produit Kokoro Lingua (kokoro signifie « cœur » en japonais).

Quel produit ? Enseigner les langues, un vecteur puissant de connexion cérébrale et d’empathie. À qui ? Les enfants. Comment ? Des vidéos en ligne. Tout semble très classique, sauf que les professeurs ont six ans. Tout repose sur cette envie des enfants de connaître l’autre, non pas sous forme de cours mais par le mimétisme, l’apprentissage du cœur, des instants ludiques, l’émotion comme facteur puissant de mémorisation. « Rapprocher le cœur des enfants autour de leur lumière et diversité » est son why.

Nathalie n’aimant pas la facilité, ses premiers choix de langues sont le japonais et le chinois. Au vu de la popularité de l’anglais, elle se plie à la langue de Shakespeare et s’improvise productrice de vidéos. Sans aucun soutien pédagogique, elle produit six scripts qu’elle monte en projet pilote. Vient l’étape de recrutement où elle ne peine pas à trouver quinze enfants de langue maternelle anglaise pour y figurer. Elle découvre ses compétences en montage avec Adobe Premiere Pro. Le succès du projet pilote est immédiat, le programme est lancé.

Entourée de l’expertise de neuroscientifiques, de linguistes, d’enseignants et intégrant le « mindfulness », elle fait monter le contenu en puissance. En 2017, une première levée de fonds est effectuée sur la plateforme de financement participatif Ulule où elle y rassemble 15 000  euros. En 2018, le Concours Lépine lui remet la médaille d’or Innovation. Son invention figure dans une émission de TF1 ; l’Éducation nationale française s’intéresse à son projet. En 2019, 50 000 enfants suivent ses cours de langue. Aujourd’hui 4 000 établissements en France mais également au Japon, au Mali, en Thaïlande, en Lituanie, en Turquie et ailleurs exploitent sa plateforme.

Les cours sont dispensés pour les 3-11 ans en anglais (cent trente contenus) et français (trente contenus). Les cours en espagnol sont en projet. La Fnac et Nature et Découvertes proposent des coffrets incluant ses cours ; les éditions Nathan distribuent ses cours adaptés aux attentes de l’Éducation nationale française pour l’anglais en CP.

Plaçant le concept de social et solidaire au cœur de son activité, Nathalie offre les cours de français aux enfants ukrainiens réfugiés en France et produit des vidéos franco-ukrainiennes afin de mieux accueillir ces nouveaux camarades de classe. Lorsqu’Emmanuel Macron annonce la fermeture des écoles pendant la pandémie, elle s’empresse de rendre son contenu gratuit pendant deux mois pour alléger la charge familiale et rendre plus récréatif le quotidien des enfants. Elle est particulièrement touchée lorsqu’une entreprise, conquise par sa mission de soutien aux réfugiés, lui fait spontanément un don de 3 500 euros.

La prochaine étape : une levée de fonds d’1,5 million euros pour rendre son produit plus interactif, intégrer davantage de technologies et conquérir deux nouveaux marchés. Pour cela, Nathalie réseaute beaucoup au conseil de la Europe Ed-Tech Alliance où quatorze femmes leaders sur le marché de l’ed-tech se soutiennent, et est membre du Forum des 100 personnalités  qui font bouger la Suisse Romande.

La capacité de Nathalie à rebondir est sans appel. Elle suit ses instincts, applique ses qualités d’autodidacte pour arriver à ses fins et avait même obtenu le parrainage de Kenzo Takada pour Kokoro Lingua avant son décès.

D’après The Funding Report, seulement 3 % des financements de start-up sont octroyés aux projets menés par les femmes. Sélectionnée au concours de la Global Edtech Startup Award mettant en compétition huit start-up européennes, Nathalie en est la seule femme. Régulièrement, elle est entourée d’hommes lors de conférences qui lui demandent « De qui êtes-vous l’assistante ? ».

Nul doute que Nathalie inverse la tendance de l’univers très masculin de l’entrepreneuriat et démontre que la réussite n’est pas une question de genre.

Remerciements à sensemofr.com pour son expertise de relecture et corrections de texte.