Marie-Solange Vottero

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Née d’un père camerounais et d’une mère française, Marie-Solange vit à Foumban, au Cameroun jusqu’à ses 15 ans. Puis, elle déménage à Strasbourg pour y terminer ses études dans un contexte familial de séparation et de choc culturel. Elle passe un BTS d’assistante de gestion et s’expatrie à la Réunion à tout juste vingt ans où elle intègre le groupe Hewlett-Packard Océan indien. Motivée, elle va profiter du boom de la micro-informatique pour se spécialiser dans l’implantation de ses centres de profit. En 2007, elle rejoint le groupe Adecco puis la chaîne de restauration Quick où elle contribue à la mise en place de sept restaurants. Cette expérience de la gestion de projets la pousse à reprendre ses études et elle obtient à 30 ans, son master en Organisation et Gestion du Changement. Elle commence la deuxième partie de sa carrière à Paris, dans l’accompagnement au changement autour des projets d’informatisation des services publics. En 2012, mère de deux enfants, elle s’investit dans la réorganisation de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament après la crise du Mediator. Elle s’installe ensuite à Antibes et se lance comme consultante freelance auprès de différentes collectivités locales de la Côte d’Azur. Lors de sa première expatriation à Singapour en 2015 où son conjoint est relocalisé, le lycée français la recrute comme responsable relation client et elle s’implique également dans des projets visant le bien-être des élèves : lutte contre l’intimidation et le développement des compétences psychosociales. Elle commence à pratiquer l’aïkido verbal, outil de communication positive en cas d’agression verbale particulièrement adapté aux enfants. En 2019, elle fait le choix d’évoluer vers le métier de thérapeute et entame un cycle de formation* en thérapie cognitivo-comportementale et en hypnothérapie intégrative, se spécialisant dans les troubles de l’anxiété et du stress. Arrivée au Japon en août 2022, elle lance son activité en libéral et crée Hello Change pour rejoindre le Club Entrepreneures de FAJ.

Vous êtes passée du monde business et ses process, ses règles et ses tableaux de bord à une activité d’entrepreneure et de thérapeute…d’où vient ce changement capital ?

Avec du recul, j’ai toujours eu soif de changement et d’indépendance. S’expatrier aussi jeune, se fixer des défis personnels, reprendre les études, changer de voie, cette envie de mener mon propre bateau m’a toujours habité. De plus, j’ai déjà fait l’expérience d’une activité en free-lance, et j’aime entreprendre. Jusque-là, ma mission consistait à aider les sociétés dans la gestion du changement. Je veux à présent accompagner les personnes qui vivent ce changement !

A titre personnel, j’ai eu un chemin de vie où l’accompagnement thérapeutique a vraiment fait la différence. Etant issue d’un environnement violent et insécurisant, j’ai pu me construire et m’épanouir comme femme, puis comme mère grâce à cette aide extérieure. Avec du recul, j’ai toujours été passionnée par les problématiques de changement et par la capacité de résilience des êtres humains. On sait aujourd’hui que grâce à la plasticité cérébrale il est possible de changer, de faire évoluer notre fonctionnement, et donc notre cerveau, à tout âge. Cette capacité peut et se développe avec l’aide d’un bon professionnel et d’une approche éprouvée.

La santé mentale est encore un tabou dans la société française. Je me sens donc investie d’une mission d’éducation sur tout ce qui touche au bien-être mental et j’ai aujourd’hui à cœur de porter ce message !

Votre pratique est portée par une mission très personnelle ! Quel est votre plus gros challenge dans votre métier aujourd’hui ?

La culture locale est pour moi le vrai cheval de bataille. Mon idée originale était de faire du B2B en misant sur ma double compétence gestion du changement/manager pour accompagner la transformation managériale post Covid-19 marquée par le désengagement du middle management et de nombreuses résistances au changement. En sus, ma casquette de thérapeute me permet de mener des actions de prévention du stress et de contribuer à promouvoir une culture d’entreprise plus flexible et plus humaine.

Ce projet est remis en cause suite à mon installation au Japon où la culture du changement est plutôt réduite et ou la qualité de vie des employés n’est pas la priorité. Mon profil biculturel me rend particulièrement sensible aux autres cultures et j’ai compris que le marché local n’est qu’à ses débuts. Le changement est un sujet dense au Japon : il requiert un effort et une temporalité différents…

Que trouve-t-on dans votre boîte à outils qui vous propulse vers l’avant au quotidien ?

Mon premier outil ? L’écoute de soi. Quand j’avais trente ans, un ami m’a dit « Je m’écoute beaucoup ». Cette question m’a travaillé pendant des années, qu’est-ce que cela pouvait bien dire ? Observer son intérieur, ses émotions, le dialogue avec soi. Cela demande de la concentration, une hygiène de vie (comme méditer, même 1mn dans le train), une routine à mettre en place qui a un rapport avec son bien-être. La connaissance de soi et surtout l’amour de soi – qui n’a rien à voir avec de l’égocentrisme – sont des clés pour une vie heureuse car garantes de la connexion à soi et donc aux autres et à notre environnement.

Ensuite, créer sa communauté. Lorsque je suis arrivée au Japon, j’ai adhéré au programme mentorat et au Club Entrepreneures de FAJ, tous deux une source de soutien et de motivation pour avancer dans mes projets, bénéficier de l’expérience des autres, échanger, rencontrer, … Je suis aussi membre de FEW, l’équivalent de FAJ en anglais, et de l’Association des Amies de Langue Française qui me permet de côtoyer des Japonaises francophones. Créer une communauté passe aussi par l’utilisation des réseaux sociaux, je suis active sur LinkedIn pour rayonner, asseoir ma crédibilité et … appliquer les précieux conseils du Club Entrepreneures. Enfin, je travaille en partenariat avec le Tokyo Therapy & Wellness Center créé par Julien Servelle et Sébastien Bailet-Kojima, deux ostéopathes français.

Et enfin de la créativité ! La stimulation de la créativité permet d’ancrer les choses dans son cerveau et recréer des sensations. Ma source est la musique : je chante depuis des années et je finalise actuellement un projet de 3 titres originaux (à paraître en mars 2023). Je lis beaucoup aussi. J’ai toujours plusieurs livres en cours. En ce moment, cela va du “cerveau de votre ado” de Daniel Siegel à “La patience des traces” de Jeanne Benameur qui mélange psychanalyse et …Japon.

Vous êtes spécialisée dans la gestion du stress, quel est votre ressenti face au stress professionnel ? Les langues se délient beaucoup sur le mal-être en entreprise…

La prise de conscience s’est accélérée grâce au Covid-19 car les entreprises qui sont restées performantes sont celles qui cultivent une culture d’entreprise empathique et une grande flexibilité organisationnelle. Ceci suppose que le management dispose des compétences ad hoc pour accompagner leurs équipes. Ceci ne passe pas seulement par le financement de séances de soutien psychologique ou des cours de yoga. Ces outils sont utiles, mais doivent faire partie intégrante d’une stratégie d’entreprise qui place l’écoute de ses employés au centre afin de servir efficacement les intérêts de l’organisation. A quoi bon m’offrir des séances de psy si mon boss pense que le stress est synonyme de faiblesse ? Si ces séances sont sous-utilisées par les employés au vu des risques de stigmatisation ? Si les employés qui télétravaillent sont perçus comme moins productifs ? La santé mentale n’est pas qu’une problématique RH. C’est LE challenge de management pour limiter les risques et les coûts en termes d’absentéisme, de burnout ou de turn-over. Et l’effet domino sur ceux qui restent. Il y a donc des enjeux dans la capacité à évaluer le niveau de stress des employés et à doter les managers des compétences et outils. A titre d’exemple, la Royal Bank of Canada a mis en place un programme de formation obligatoire pour le management visant à reconnaître les différentes formes de stress. La société SABRE sonde régulièrement ses employés pour comprendre leur stress et leurs challenges alors que le télétravail se généralise. Un autre enjeu concerne le recrutement des managers. La capacité d’empathie et l’intelligence émotionnelle doivent primer sur l’expertise technique qui elle s’acquiert.

Le monde du travail change, de par les effets de la pandémie mais aussi de par la reconnaissance que demandent les employés aujourd’hui. Un environnement de travail bien portant et un management opérant dans des conditions saines profiteraient aux employés et aux employeurs. La prise de conscience est croissante, alors place aux actions !

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