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Née à Tokyo de parents japonais, Kaoru Okada réside en France dès l’âge de cinq ans et démarre son apprentissage de la langue de Molière à l’école maternelle. Ses études – à Tokyo comme à Paris – suivent un curriculum français : lycée français de Tokyo, lycée Racine à Paris, diplôme de Sciences Po Paris, DEA en économie internationale également à Sciences Po Paris.
Kaoru démarre sa carrière au sein des Nations Unies au Mali, au Cambodge, puis à New-York et à Rome. S’ensuivent des fonctions à l’OCDE (Paris) et la Banque Mondiale (Washington). Suit le secteur privé : Nissan Europe (directrice de formation et recrutement), Groupe Renault (directrice ressources humaines adjointe des ingénieries, directrice de secteur d’audit interne) et l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi (directrice monde de la conformité export). Après ce vaste parcours, bordé de défis opérationnels complexes, Kaoru se qualifie puis se lance à son compte en tant que coach interculturel, afin de partager son expertise et ses expériences internationales.
Son portefeuille clients actuel se composent notamment – entre Tokyo, Paris et Pékin – de multinationales telles que Shiseido, Nissan, la Banque Asiatique d’Investissement de l’Infrastructure.
- Vous êtes trilingue/tri-culturelle, japonais-français-anglais. Quelle est l’origine de ce profil polyglotte ?
Mon attachement à la langue et la culture françaises vient initialement de mon père, professeur de littérature française à l’Université Seikei de Tokyo, spécialiste du théâtre romantique français. Baignée très tôt de littérature française (notre maison était envahie de premières éditions des pièces de théâtre
sde Victor Hugo), en vacances, nous visitions les hauts-lieux du romantisme français comme la tombe de Chateaubriand près de Saint Malo, ou les îles anglo-normandes où mon père nous faisait une visite guidée de la maison de Victor Hugo…Après mes études, j’ai choisi l’Organisation des Nations Unies, poussée par un certain idéalisme – assez répandu à l’époque au sein de la jeunesse – ayant pour mission de contribuer au développement durable au niveau mondial, surtout auprès des pays les plus démunis. Mes premiers postes sur le terrain au Mali et au Cambodge, puis aux sièges de New-York et de Rome ont répondu à cette attente. Par la suite, mes postes ont toujours eu une forte composante internationale.
- Cela explique beaucoup votre profil « multipass ». Vos postes à l’ONU, la Banque Mondiale, chez Renault-Nissan-Mitsubishi vous ont exposée à des défis culturels internationaux. Citez-nous quelques exemples emblématiques.
Certaines alliances industrielles – je pense par exemple au secteur automobile – sont plus réussies que d’autres, et prouvent que les facteurs culturels et humains doivent être parties intégrantes d’un projet dans ses différentes phases.
Je peux citer le projet d’alliance Renault-Volvo, d’actualité avant l’alliance Renault-Nissan. Pendant plusieurs mois, de longues négociations ont été menées pour finalement mal aboutir à cause de discordances culturelles : consensus non atteints, modes de décision divergents. Chaque culture était prisonnière d’elle-même aboutissant à un gel des discussions, malgré un avantage business très clair dans le secteur automobile. Davantage de prise en compte des différences culturelles sur les dimensions business aurait hautement aidé cette alliance, qui théoriquement avait tout son sens. Il s’agissait de deux cultures européennes, une suédoise, l’autre française.
A contrario, l’alliance Renault-Nissan apparaît comme une réussite, du moins pendant les quinze/vingt premières années, alors que les cultures française et japonaise pourraient apparaître a priori plus lointaines entre elles. Ce sont cependant deux cultures formelles, avec une approche hiérarchique similaire du leadership. Quand Carlos Ghosn a pris – en tant que chef – certaines décisions nécessaires mais impopulaires au début de l’alliance, ces décisions ont été acceptées justement parce qu’il s’est positionné au-dessus du groupe. Dans la culture japonaise, il est difficile à un chef de ne pas tenir compte du groupe auquel il appartient.
Cette collaboration, initialement mise en œuvre avec beaucoup d’intelligence humaine, s’est hélas effritée au cours du temps… mais là n’est pas mon propos.
- Vous avec occupé des postes et pratiquez un métier qui requièrent beaucoup de pragmatisme et autant d’intelligence émotionnelle. Y a-t-il une langue parmi les trois qui permet de mieux exprimer l’un et/ou l’autre ?
Je pense que la langue la plus perméable est, pour des raisons très pratiques, l’anglais. C’est avant tout une langue d’action qui permet au client – comme au coach – de s’exprimer de façon claire et simple. Cela étant dit, les thématiques lourdes de sens ou d’émotions s’expriment plus spontanément dans la langue maternelle : j’avoue que mon trilinguisme me donne en cela un avantage naturel ! Mais mieux encore que le choix de la langue, faire l’effort de comprendre, sans jugement aucun, est la première étape de mon approche de coaching interculturel.
- Une question pour la fin : voyez-vous des contrastes entre les différentes nationalités quant à la compréhension de votre profession de coach interculturel ?
Il est vrai que le concept du coaching se nuance en fonction des cultures. Il arrive encore que les personnes japonaises (hommes ou femmes) abordent le coaching avec une certaine appréhension, sans doute à cause d’une connotation historique moins positive qu’en occident ; comme si se faire coacher dénotait une faiblesse ou des manquements. Certains m’appellent « sensei » (professeur) et je dois vite faire halte, car le coaching est fondamentalement une relation entre pairs. En Europe comme aux Etats-Unis, le coaching est plus répandu. Souvent, des managers déjà performants, mais visant l’excellence, font appel aux coaches.
Je m’adapte bien sûr selon les nationalités et les profils, afin d’accompagner au mieux chacun, en fonction de son approche culturelle personnelle du management… C’est sans doute la partie la plus passionnante de mon métier !