Anastasia Lequeux

Depuis septembre 2019, Anastasia Lequeux s’est installée au Japon et exerce en tant que professeur au Lycée Français International de Tokyo. Enseignante depuis 15 ans, elle dispense des cours de français aux classes de 6e et 2nd et également des cours de cinéma audiovisuel pour les élèves de 1ère. Originaire de Nantes, elle y a suivi une classe préparatoire littéraire puis intégré la faculté de Lettres Modernes avant de passer le concours de professeur. Anastasia dégage une énergie débordante et pleine de bienveillance, des qualités qui lui ont permis de percer les écrans lorsque le lycée a commencé à dispenser ses cours en ligne, 6 mois après son arrivée au Japon, frappé par la pandémie. Modeste et enthousiaste, elle considère sa carrière comme un métier mais avant tout comme une aventure humaine, un échange perpétuel profond entre deux êtres humains qui se nourrissent de leurs fragilités et leurs réussites. Anastasia ne prend pas sa profession à la légère, assidûment motivée par l’ascension académique mais surtout personnelle de ses élèves.

Y a-t-il une raison personnelle d’avoir adopté le métier que vous pratiquez aujourd’hui ou le hasard a bien fait les choses ?

Je ne saurais pas vraiment le dire. Tout ce dont je suis sûre, c’est qu’il y a toujours eu, en moi, l’envie d’avoir un véritable impact sur la société. La preuve : travailler pour Médecin Sans Frontières était mon rêve d’adolescente ! Ce désir est, finalement, passé par l’éducation. Si j’étais de taille pour suivre un curriculum scientifique – ce que mes professeurs m’avaient conseillé à l’époque – il faut avouer que les cours d’Histoire-Géographie et les sujets géopolitiques étaient ma respiration de la semaine pendant l’année de Terminale S. Mon cœur a fini par me dicter une autre voie et la classe préparatoire littéraire s’est imposée très naturellement une fois mon Baccalauréat obtenu. Même si j’y étais complètement dans mon élément, j’ai longuement hésité entre un Institut d’Études Politiques et l’université de Lettres Modernes que j’ai intégrée en Licence. Au moment de choisir, il me semble que je me suis simplement davantage projetée dans une vie d’enseignante. 

Dernière étape de ce parcours : j’ai donc suivi ma préparation au CAPES par correspondance (CNED), ce qui me permettait de travailler en parallèle. Animatrice dans des magasins de téléphonie mobile, femme de ménage dans des écoles, cette indépendance m’allait à merveille.  A 21 ans, diplôme d’enseignante en poche, j’étais professeur stagiaire à gérer une classe de 25 élèves tout en étant en formation continue.

Avez-vous un style particulier dans votre méthode d’enseignement ? Vous inspirez-vous d’un/une enseignant(e) historique ?

J’ai oublié de citer un élément certainement déterminant : mon père était lui-même professeur de français ! Il a été et est encore une source d’inspiration pour moi. Suivre les cours pendant un an, avec le CNED, pour passer le concours demandait concentration et persévérance, des qualités qu’il m’a inculquées. Avec le juste équilibre de bienveillance et de rigueur, il m’a soutenue et permis de garder le cap, me “recadrant” lorsque mon esprit divaguait. Mais, avant tout, il m’a transmis l’amour de son métier : un métier vivant, empreint de lien, d’enrichissement, de transmission. Très souvent, pendant ma jeunesse – et encore aujourd’hui -, il était accosté par des parents ou des anciens élèves qui prenaient du plaisir à échanger avec lui. Nul doute que j’ai été marquée par son bonheur professionnel sincère et influencée par sa capacité à tisser du lien.

Si j’ai lu des travaux de Freinet, Montessori ou Meirieu , je me nourris de tout ce que j’ai appris, sur le terrain, au cours de ma carrière et surtout de tous ceux dont j’ai croisé le chemin, notamment des professeurs des écoles que j’admire beaucoup. Je crois à la vie qui doit animer une classe, aux projets, aux mises en situation (et parfois, en “danger”) mais aussi à l’apprentissage de la concentration et à la prise de conscience du “pourquoi j’apprends”.  Mon tiercé gagnant est le suivant : savoir, savoir-faire, savoir-être. Chaque individu grandit et s’épanouit tout en faisant partie d’un tout, pas en compétition avec les autres mais avec lui-même pour atteindre son meilleur, avec ses forces comme ses fragilités.

Est-ce votre première expérience hors France ? Quels sont les challenges culturels (et autres) d’enseigner dans une école à l’étranger ?

Oui, c’est ma première expérience à l’étranger ! Une offre au Mozambique s’était présentée par le passé mais le délai était trop court pour que cela se concrétise. Pour tout vous dire, les pays anglophones étaient mes premiers choix mais sortir de ma zone de confort m’a toujours permis de me surpasser et Tokyo était clairement une opportunité qui ne se refuse pas. 

Le plus grand défi est d’enseigner à des élèves au profil biculturel voire tout simplement japonais qui ne pratiquent que peu ou pas le français en dehors de la classe. Certes, il y avait aussi des enfants en difficulté avec la maîtrise de la langue en France mais enseigner à des enfants culturellement et linguistiquement aussi différents demande une sensibilité autre. Il m’arrive parfois, notamment avec les plus jeunes, de “connecter” avec eux en faisant par exemple un pas vers leur univers, en associant le travail du français avec la langue et le vocabulaire japonais. Qui dit difficulté linguistique dit parfois manque de confiance, et j’essaie de rompre certaines timidités avec mon humour. Comme je leur dis, afin de dédramatiser et fluidifier les échanges : « C’est quand on se plante qu’on pousse »

En tout cas, je suis en admiration face à ces enfants au profil polyglotte, capables de penser en plusieurs langues. Cultiver leur potentiel et leurs forces est une aventure plus qu’intéressante et surtout épanouissante pour moi aussi.

Comment voyez-vous évoluer le métier de professeur en termes de parité ? Voyez-vous de la discrimination, négative ou positive ?

D’après mon expérience en France et au Japon, je n’ai pas eu l’impression qu’il y ait le problème que rencontrent certaines autres industries en termes de parité. Je n’ai jamais ressenti de différence parce que je suis une femme, ni rien qui dénote une forme de discrimination. 

Démystifiez-nous les emplois du temps des professeurs. On peut imaginer que vous avez autant de vacances que les élèves mais il n’en serait rien…

Si seulement c’était vrai ! Certes, les vacances scolaires des élèves et les nôtres sont identiques mais je vais vous confesser quelques subtilités quant aux réalités du terrain !

En tant que professeur du Secondaire (collège et lycée), je suis tenue de dispenser 18h de cours par semaine en présence des élèves, cela correspondant à 4-5h de cours par jour. En sus de ces cours, s’ajoutent les conseils de classe, les réunions entre collègues, avec les parents ou pour les élèves à besoins éducatifs particuliers ; toute la communication avec la famille ou les étudiants pour le travail ; les cours à préparer et les copies à corriger, etc. C’est difficilement quantifiable et il y a des pics d’activités comme des périodes plus calmes. L’un dans l’autre, ma journée passe très vite (et, donc, l’année scolaire).

Comme c’est le cas dans d’autres métiers, je dirai que je ne laisse pas ma blouse de professeur au vestiaire dès que je quitte l’établissement. Il arrive, bien souvent, que je prépare et corrige également chez moi, ou encore que je pense à quelque chose en lien avec le travail en plein week-end. Comme je l’ai dit plus haut, c’est un métier de vie, qui forme les citoyens de demain et j’y attache une grande passion. Depuis quelques années, je m’améliore et réussis à vraiment déconnecter pendant la période estivale qui est effectivement plus longue et permet une belle pause. Mais, ma profession ne me quitte jamais vraiment et toute rentrée scolaire se prépare en amont de toute façon – oui, pendant les vacances !

Vous avez entre vos mains le futur des enfants. Décrivez-nous un moment où votre métier vous a rendue très fière.

J’ai vraiment essayé d’y penser et il y aurait un certain nombre d’anecdotes, souvent liées par l’idée de fierté ressentie par un élève. 

Ma première anecdote concerne une jeune lycéenne de 3e en France qui rêvait à tout prix d’être infirmière. Son français était plus que moyen et ne lui offrait, à priori, que peu de perspectives dans ce domaine. Je l’ai accompagnée pour toute la durée de son collège, épaulée grâce à un dispositif d’aide aux devoirs. Elle a choisi un Bac Pro avec option médico-social et a finalement brillamment réussi non seulement son Bac mais aussi, par la suite, son concours d’infirmière. Quelle fierté, pour elle, quand elle me l’avait annoncé. Si j’ai peut-être contribué à sa réussite, c’est elle, avant tout, qui a beaucoup travaillé et décroché la lune. C’est ce message que je garde depuis, cette compétition avec elle-même qu’elle n’a jamais abandonnée.

La deuxième à laquelle je pense a eu lieu au Japon. Une année, j’ai organisé un « battle » de lecture à voix haute entre lycéens : une activité où est choisi le meilleur lecteur de la classe. Figurez-vous que c’est un jeune franco-japonais qui avait démarré l’année avec des grandes difficultés de lecture et un manque de confiance en lui qui a été élu meilleur lecteur. Ma fierté ? Non seulement, il n’a mis que deux mois pour monter en puissance mais surtout les encouragements, l’enthousiasme et les applaudissements des autres élèves ont illuminé la salle de classe. J’étais heureuse de lui avoir permis de vivre ce moment certes, mais tellement plus fière des autres et de lui. Le triomphe partagé de ce jeune garçon qui avant osait à peine s’exprimer ne fait que justifier pourquoi je suis professeur !
[13/10/2021]